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Le prix de thèse Frossard 2024 de la Fondation de France a été attribué

Le prix Frossard 2024 de la Fondation de France a été attribué à Julien Chuzeville pour son travail de thèse « Les Courants socialistes et communistes en France sous la IIIe République ». Nous publions à cette occasion, avec son accord, un extrait de cette thèse concernant la consultation internationale de La Petite République en 1899.

Dans ses recherches, Julien Chuzeville s’intéresse particulièrement à la période fondatrice de l’unité socialiste, celle du Parti socialiste SFIO entre 1905 et 1914, qui a donné naissance à l’ensemble des partis et mouvements socialistes et communistes en France. Il revisite l’histoire des partis ouvriers qui ont précédé la SFIO, puis examine la manière dont ce parti a vu le jour. Son travail met notamment l’accent sur l’étude des réunions des sections socialistes pour analyser la base militante de ces formations. Il se penche également sur des thèmes tels que l’internationalisme de la SFIO, ses liens avec le féminisme, ainsi que ses critiques de l’impérialisme et du colonialisme.

En plus d’avoir révisé et enrichi la notice de Louis-Oscar Frossard sur le Maitron —  qui recense les biographies des personnalités du mouvement ouvrier en France, de la Révolution à nos jours — Julien Chuzeville a rédigé une notice inédite sur Rose Frossard, née Pétrequin, qui fut secrétaire d’une fédération départementale de la SFIO et épouse de Louis-Oscar Frossard. Sa thèse inclut une version augmentée de cette notice. De plus, elle apporte des éléments inédits sur les socialistes dreyfusards, en explorant des figures célèbres ainsi que des militant(e)s méconnu(e)s.

Le texte révisé de sa thèse sera publié début 2025 aux éditions Libertalia.

Julien Chuzeville est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont un livre précis sur la fondation du Parti communiste en France (« Un court moment révolutionnaire », éditions Libertalia) et une biographie du communard hongrois Léo Frankel, fruits de longues recherches dans de nombreuses archives. Il a également contribué à plusieurs ouvrages collectifs et participé à l’édition de textes et de correspondances de figures telles que Rosa Luxemburg, Boris Souvarine et Pierre Monatte.

 

La consultation internationale de La Petite République en 1899

L’entrée au sein du gouvernement français, fin juin 1899, du député socialiste indépendant Alexandre Millerand suscite immédiatement d’importantes dissensions parmi les militants et courants socialistes en France. Cette première participation à un « gouvernement bourgeois » est un événement d’ampleur, faisant réagir des socialistes de toute l’Europe, et même d’ailleurs dans le monde. Ce nouveau sujet de désaccords s’ajoute aux oppositions de l’année précédente, sur l’opportunité ou non pour les socialistes de s’engager dans la lutte dreyfusarde, c’est-à-dire de participer à l’affaire Dreyfus en faveur du capitaine Alfred Dreyfus, condamné à tort pour espionnage par un tribunal militaire, dans un contexte d’antisémitisme et d’agitation des courants nationalistes anti-républicains.

Les différents courants socialistes ont en effet adopté des positions variées en 1898 : le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) de Jean Allemane s’est d’emblée affirmé dreyfusard ; le Parti ouvrier français (POF) de Jules Guesde a refusé de s’engager dans l’affaire, ce qui n’empêche pas Paul Lafargue et d’autres « guesdistes » d’être dreyfusards ; le Parti socialiste révolutionnaire (PSR) d’Édouard Vaillant reste prudent et distant ; les socialistes indépendants sont divisés, puis progressivement entraînés par Jean Jaurès dans l’action dreyfusarde. En 1899, concernant l’acceptation par Millerand d’un poste de ministre, les socialistes indépendants sont pour, le POF et le PSR sont contre1.

C’est la raison pour laquelle le quotidien socialiste parisien La Petite République lance en août 1899 une « consultation internationale des militants socialistes sur l’affaire Dreyfus et la participation des socialistes au pouvoir en régime bourgeois », par la voix de son rédacteur en chef Léon Gérault-Richard et de Jean Jaurès (son journaliste le plus connu, qui n’était alors plus député), tous deux socialistes indépendants, et qui partageaient depuis plus d’un an « la direction politique » du journal2. Gérault-Richard et Jaurès, qui étaient dreyfusards et partisans de Millerand3, espéraient voir ainsi les socialistes internationaux apporter un soutien à leur positionnement, dans la perspective d’un futur congrès général des socialistes en France (qui se se tint finalement du 3 au 8 décembre 1899, à Paris, salle Japy – d’où l’appellation « congrès de Japy »).

S’adressant à certains des socialistes les plus connus dans le monde, il leur est demandé de répondre à deux questions :

« 1. Le prolétariat socialiste peut-il, sans manquer au principe de la lutte de classes, intervenir dans les conflits des diverses fractions bourgeoises, soit pour sauver la liberté politique, soit, comme dans l’affaire Dreyfus, pour défendre l’humanité ?

2. Dans quelle mesure le prolétariat socialiste peut-il participer au pouvoir bourgeois, et le principe de la lutte de classes s’oppose-t-il absolument et dans tous les cas à la prise de possession partielle de la puissance ministérielle par le parti socialiste ? »

Ces questions sont envoyées à 49 militants socialistes, de 13 pays, essentiellement d’Europe : Allemagne (11 militants), Grande-Bretagne (7), Autriche-Hongrie (2), Belgique (7), Danemark (3), Espagne (1), Hollande (2), Italie (6), Portugal (1), Russie (4), Norvège (1) et Suisse (3). Le seul socialiste hors d’Europe sollicité, Lucien Sanial des États-Unis (de surcroît né en France), n’a pas répondu ; mais on sait qu’il était en contact avec les guesdistes et qu’il se prononça par ailleurs « contre l’entrée de ministres socialistes au gouvernement4 ». On ne peut que supposer que ce sont Gérault-Richard et Jaurès qui ont établi cette liste, peut-être aidés de rédacteurs de La Petite République connaissant bien les socialistes internationaux. Quoi qu’il en soit, si l’objectif était de regrouper un ensemble représentatif du socialisme mondial, force est de constater qu’il y a des lacunes.

Publiée en première page du quotidien le 17 août, avec les noms de tous les militants interrogés, la consultation est donc annoncée en grande pompe. Dès le 2 août, un courrier avait été envoyé aux socialistes sollicités, le questionnaire de la consultation leur parvenant sous forme de circulaire, qui précisait : « Nous vous serons donc très reconnaissants de nous adresser sur ce sujet une lettre ou un article que nous publierons intégralement dans la Petite République5 ».

La publication des réponses ne commence pourtant qu’un mois plus tard, au compte-goutte. Il n’est jamais indiqué par La Petite République si les textes ont été envoyés en français, ou bien traduits (on le sait seulement dans le cas de Keir Hardie, puisqu’il s’excuse dans sa réponse d’envoyer son texte en anglais, et peut-être aussi dans les cas de Vollmar et Singer puisque des expressions en allemand y figurent, cela étant probablement le fait d’un traducteur6, ou bien éventuellement de ces militants peu assurés de leur français7). Les dates des réponses qui sont imprimées dans le quotidien ne sont pas toujours précises : seul le mois est la plupart du temps indiqué. En somme, le fait que les lettres originales reçues n’ont pas été conservées est très dommageable.

Les réponses sont toujours publiées en première page du quotidien, et l’auteur est à chaque fois brièvement présenté. Elles sont donc clairement mises en valeur. L’ordre de parution semble arbitraire, puisqu’il ne correspond pas à l’ordre dans lequel les réponses ont été reçues, ni à aucune logique explicite ou identifiable. Le quotidien n’explique pas non plus pourquoi il espace autant la parution des réponses, laissant parfois passer plus de deux semaines sans publication ; certaines réponses sont ainsi publiées trois mois après avoir été reçues.

Surtout, la publication des réponses entre septembre 1899 et janvier 1900 dans le quotidien La Petite République fut tronquée, trois réponses étant écartées ; heureusement, un peu plus tard la revue Cahiers de la quinzaine publia intégralement les réponses, entre mars et juillet 1900 – mais son audience était incomparablement plus réduite : elle indiquait alors tirer à 800 exemplaires. De plus, les Cahiers de la quinzaine firent – sans doute par erreur – un oubli : la réponse de Parvus, la dernière que La Petite République avait publiée, fut omise.

Il existe à ma connaissance deux études sur cette consultation internationale :

1) Dans le livre de Jean-Jacques Fiechter, Le Socialisme français : de l’affaire Dreyfus à la Grande Guerre, Genève, Droz, 1965, p. 66-67 et 69-75.

2) L’article de Frédéric Moret, « La consultation internationale de La Petite République », Cahiers Jaurès n° 138, octobre 1995, p. 107-120.

Jean-Jacques Fiechter se base uniquement sur la publication des réponses dans les Cahiers de la quinzaine, ce qui l’amène à croire que Parvus n’a pas répondu, et inversement Frédéric Moret ne connaît que les réponses parues dans La Petite République, et ignore donc celles de Rosa Luxemburg, de Kritchevski et de Schidlowski8.

Une synthèse de l’ensemble des réponses s’impose donc.

Récapitulons brièvement les réponses dans l’ordre de leur publication :

Cahiers de la quinzaine n° 5, 5 mars 1900, p. 8-72 :

1) La Petite République du 14 septembre 1899 : la rédaction indique avoir déjà reçu de nombreuses réponses, puis choisit de commencer en publiant celle de Henri Van Kol (Pays-Bas), datée du 25 août 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois ; pour celle de Millerand.

2) La Petite République du 16 septembre 1899 : réponse d’August Bebel (Allemagne), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus (Bebel écrit que la démocratie socialiste est « le parti de toutes les victimes de l’infortune et de l’oppression » ; c’était « un devoir pour le parti socialiste d’intervenir en tant que parti en faveur de Dreyfus9 »).

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

3) La Petite République du 21 septembre 1899 : réponse d’Émile Vanderverlde (Belgique), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois ; « en règle générale » contre ; ne se prononce pas sur le cas de Millerand.

4) La Petite République du 22 septembre 1899 : réponse de Gueorgui Plekhanov (Russie10), datée septembre 1899 :

pas de réponse très claire concernant Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, sauf cas exceptionnels.

5) La Petite République du 22 septembre 1899 : réponse de Pablo Iglesias (Espagne), datée 7 septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

6) La Petite République du 22 septembre 1899 : réponse d’Andrea Costa (Italie), datée septembre 1899 :

il dit qu’il ne peut pas répondre car étant emprisonné, il n’a pas accès aux journaux et n’est donc pas suffisamment informé.

7) La Petite République du 25 septembre 1899 : réponse d’Enrico Ferri (Italie), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

pour la participation ministérielle « en tant que parti de classe », mais contre la participation individuelle dans un ministère bourgeois, ce qui est selon Ferri le cas de Millerand ; donc contre.

8) La Petite République du 26 septembre 1899 : réponse de Wilhelm Liebknecht (Allemagne), datée septembre 1899 :

il renvoie simplement à sa « lettre au congrès d’Épernay ». Il s’agit du congrès du Parti ouvrier français, tenu du 13 au 16 août 1899 à Épernay (Marne). La lettre au congrès de Wilhelm Liebknecht avait été publiée dans l’hebdomadaire du POF, Le Socialiste, le 20 août 1899 ; curieusement, La Petite République ne la reproduit pas. Liebknecht n’y aborde pas l’affaire Dreyfus11, mais s’y prononce :

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

9) La Petite République du 26 septembre 1899 : réponse de Louis Bertrand (Belgique), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

pour la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, pour Millerand.

10) La Petite République du 28 septembre 1899 : réponse de Karl Kautsky (Allemagne), datée du 12 août 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois ; mais « un tel acte » est « toujours anormal ». Concernant Millerand, il renvoie à ce qu’il a déjà écrit dans le Vorwärts. Mais ni La Petite République ni les Cahiers de la quinzaine n’indiquent quelle est cette position. Il s’agit d’un article paru le 1er août 1899, puis traduit en français dans Le Mouvement socialiste du 15 août 189912. Dans cet article, Kautsky se prononce très clairement :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre l’entrée au gouvernement de Millerand.

11) La Petite République du 29 septembre 1899 : réponse d’Eduard Bernstein (Allemagne), datée août 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, mais il semble plutôt favorable ; ne parle pas de Millerand.

12) La Petite République du 29 septembre 1899 : réponse de Léon Defuisseaux (Belgique), datée août 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

pour la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, pour Millerand.

13) La Petite République du 3 octobre 1899 : réponse de Pierre Lavrov (Russie), datée 14 septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois ; sans se prononcer nettement, il semble opposé dans le cas de Millerand.

14) La Petite République du 4 octobre 1899 : réponse de Henry Hyndman (Grande-Bretagne), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, mais uniquement si les militants socialistes sont pour « à une énorme majorité » ; donc implicitement contre Millerand.

15) La Petite République du 5 octobre 1899 : réponse commune de Sigvald Olsen, Peter Knudsen et Adolf-Charles Meyer (qui étaient les trois militants sollicités en août pour le Danemark), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

pour la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, pour Millerand.

16) La Petite République du 6 octobre 1899 : réponse de Henry Quelch (dit aussi Harry Quelch, Grande-Bretagne), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

17) La Petite République du 11 octobre 1899 : réponse d’Antonio Labriola (Italie), datée septembre 189913 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

Cahiers de la quinzaine n° 6, 20 mars 1900, p. 45-72 :

18) La Petite République du 22 octobre 1899 : réponse de Tom Mann (Grande-Bretagne), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, ne se prononce pas nettement sur Millerand mais il espère qu’il a « pleinement consulté ses collègues socialistes avant d’entrer au ministère » (ce qui n’était pas le cas), donc implicitement qu’il aurait eu tort d’y entrer sans l’accord des autres socialistes.

19) La Petite République du 22 octobre 1899 : réponse de James Keir Hardie (Grande-Bretagne), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, ne se prononce pas sur Millerand.

20) La Petite République du 28 octobre 1899 : réponse de Herman Greulich (Suisse), datée septembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, plutôt pour Millerand mais il faudra qu’il choisisse « de donner plutôt sa démission que de manquer aux principes de son parti. C’est ce qui reste à vérifier. »

21) La Petite République du 28 octobre 1899 : réponse de Robert Blatchford (Grande-Bretagne), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

pour la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

22) La Petite République du 29 octobre 1899 : réponse de Georg von Vollmar (Allemagne), datée août 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, pour dans le cas de Millerand.

23) La Petite République du 15 novembre 1899 : réponse de Bruno Schoenlank (parfois écrit Schönlank, Allemagne), datée 21 août 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, contre dans le cas de Millerand.

24) La Petite République du 19 novembre 1899 : première partie de la réponse de Pieter Jelles Troelstra (Pays-Bas), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

La Petite République du 26 novembre 1899 : seconde partie de la réponse de Troelstra :

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, plutôt contre dans le cas de Millerand.

25) La Petite République du 9 décembre 1899 : réponse de Paul Singer (Allemagne), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

26) La Petite République du 31 décembre 1899 : réponse de Ernest Belfort Bax (Grande-Bretagne), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

27) La Petite République du 31 décembre 1899 : réponse de Ludvig Meyer (Norvège), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, pour dans le cas de Millerand.

28) Les Cahiers de la quinzaine ne reproduisent pas la réponse de Parvus (Allemagne/Russie), que La Petite République publie en deux parties, dans ses numéros des 2 et 4 janvier 1900 ; elle est datée novembre 1899 :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

Cahiers de la quinzaine n° 8, 20 avril 1900, p. 27-42 :

Republication de la lettre de W. Liebknecht au congrès d’Épernay (voir plus haut).

Les Cahiers de la quinzaine précisent dans ce numéro que « La Petite République a bien voulu nous communiquer les quelques réponses qu’elle n’a pas publiées ».

29) Publication de la réponse (alors inédite) de Charles Schidlowski14 (Russie), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

pour la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

30) Publication de la réponse (alors inédite) de Boris Kritchevski (Russie), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

au cas par cas concernant la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois, plutôt contre dans le cas de Millerand.

Cahiers de la quinzaine n° 11, juillet 1900, p. 76-82 :

31) Publication de la réponse (alors inédite) de Rosa Luxemburg (Allemagne/Pologne), pas de date indiquée :

pour l’engagement en faveur de Dreyfus.

contre la participation ministérielle dans un gouvernement bourgeois.

Bilan de la consultation

Le bilan est donc le suivant : tout d’abord, La Petite République a publié 28 réponses, sur les 31 reçues. Le taux de réponse est donc important, d’autant qu’il est envisageable que certaines sollicitations ne soient pas parvenues à leurs destinataires15.

Pour faire un total concernant le contenu des réponses, j’ai écarté Andrea Costa car sa non-réponse est contrainte. Il faut souligner que certaines réponses sont peu claires : on a parfois l’impression qu’il faut déchiffrer entre les lignes.

Ces réserves faites, on obtient donc :

Sur la question Dreyfus : sur les 29 réponses à cette question, 28 sont favorables à l’engagement en faveur de Dreyfus, une réponse est floue.

Sur la question Millerand : sur les 30 réponses sur ce point, 5 sont favorables, 5 plutôt favorables, 9 plutôt contre, 10 contre, 1 floue (plutôt neutre). On obtient donc une nette majorité de 19 contre, seulement 10 pour.

De toute évidence, le but des initiateurs de la consultation était d’obtenir le soutien du socialisme international à leur approbation de l’entrée de Millerand au gouvernement. Il s’agissait aussi, dans ce même but, de faire apparaître ce soutien comme une conséquence logique de la lutte dreyfusarde. Cette espérance traduit probablement un manque de connaissance des positions des socialistes du reste de l’Europe16, car sur ces deux points le résultat de la consultation est un désaveu très net pour Jaurès et Gérault-Richard : les socialistes internationaux ont majoritairement rejeté un lien direct entre les deux questions, et ils se sont majoritairement opposés à Millerand.

D’autre part, le fait de ne pas publier les réponses dès leur réception a largement amoindri l’effet du soutien massif des socialistes étrangers à la lutte dreyfusarde : en effet, Alfred Dreyus est gracié le 19 septembre 1899 puis libéré, alors que seulement deux réponses ont été publiées ; ce soutien n’apparaît donc plus que comme rétrospectif. Des deux questions, seule celle de la participation gouvernementale de Millerand reste d’actualité, et c’est celle où la position de La Petite République est majoritairement critiquée. Le fait que la rédaction de La Petite République choisisse de commencer la publication par la réponse de Van Kol, évidemment bien moins connu que Bebel, découle sans doute de la volonté de publier en premier lieu une position conforme à celle de Gérault-Richard et Jaurès.

La publication des réponses dans La Petite République s’interrompt prématurément, sans même que cette fin ne soit annoncée et sans que le quotidien ne tire le moindre bilan de sa consultation. Mais dès le 29 octobre 1899, c’est du camp socialiste opposé que vient l’approbation des réponses : le Parti ouvrier français se réjouit des résultats de la consultation, qui « aura rendu à notre parti des services incomparables » ; et Le Socialiste publie de larges extraits de certaines des réponses17. Le 5 décembre 1899, lors du congrès qui réunit les différents courants socialistes à Paris (salle Japy), Jules Guesde déclare que la « consultation internationale a donné la même réponse négative [que les partis socialistes en France] : on ne peut pas, dans une société basée sur l’antagonisme des classes, réunir dans un gouvernement chargé d’appliquer la loi, c’est-à-dire de faire respecter la légalité de la classe capitaliste et dominante, on ne peut pas réunir les deux classes ». Guesde cite ensuite plusieurs noms de militants de différents pays qui ont condamné « comme antisocialiste » l’entrée de Millerand au sein d’un gouvernement bourgeois18. Les réponses à la deuxième question de la consultation ont donc été une aubaine pour Guesde ; et nul ne lui fait alors remarquer qu’il occulte le fait que les réponses à la première question sont un désaveu cinglant de son inaction dans l’affaire Dreyfus – mais, comme indiqué précédemment, Alfred Dreyfus est alors libre et le sujet n’anime plus les débats entre socialistes.

Un an plus tard, Paul Lafargue écrit à propos de la consultation internationale : « Les représentants les plus autorisés du socialisme international répondirent que le principe de la lutte des classes interdisait à un socialiste de coopérer à un ministère bourgeois. Désappointé, il [Jaurès] suspendit la publication de ces réponses qui condamnait sa nouvelle méthode d’action19 ».

On l’a vu, le résultat n’est en fait pas aussi unanime que semblent l’affirmer les guesdistes, mais l’arrêt prématuré de publication des réponses par La Petite République donne l’impression d’une déroute pour les « ministérialistes » à l’origine de la consultation. Malheureusement, ni les archives personnelles de Jaurès, ni celles de Gérault-Richard n’ont été conservées, ce qui empêche d’en savoir plus.

Quelles conclusions tirer de cette consultation internationale de 1899, quels sont ses véritables enseignements durables ? La quasi-unanimité concernant l’affaire Dreyfus n’est-elle pas en partie une conséquence de sa date tardive – autrement dit le résultat aurait-il été aussi net un an plus tôt ? Inversement, Millerand n’étant ministre que depuis peu de temps au moment de la rédaction des réponses, le désaveu à son encontre n’aurait-il pas été encore plus net si la consultation avait eu lieu plus tardivement ? Concernant la participation ministérielle en général, le débat lors du congrès socialiste international de septembre 1900 constituerait une autre source à comparer avec les réponses de la consultation – ce qui sort du cadre de ce bref texte. On peut en tout cas noter que l’importance de la réponse « à voir au cas par cas » en 1899 est cohérente avec l’adoption de la motion dite « caoutchouc » de Kautsky en 190020.

Sur le principe même de la consultation, faut-il y voir comme Parvus « un nouveau signe de la solidarité des socialistes de tous les pays21 » ? En tout cas, le contenu des réponses montre que les socialistes d’Europe, ou au moins certains dirigeants ou théoriciens parmi eux, se tenaient très au courant des événements politiques des différents pays, et des débats entre socialistes. Loin d’être réduit à quelques jours de congrès tous les trois ou quatre ans, l’internationalisme socialiste se manifestait aussi par l’existence non seulement d’échanges, mais aussi de débats publics transnationaux, d’expériences vécues comme devant donner lieu à des enseignements partagés par des militants dans toute l’Europe, voire dans le monde entier, et ce avant même la création du Bureau socialiste international en 1900. Cet internationalisme n’était donc pas un spectacle, mais une partie constitutive d’une vision du monde et d’une pratique visant à le transformer.

Julien Chuzeville.

1 Le POSR, divisé, ne joue pas de rôle important dans ce débat (Siân Reynolds, La Vie de Jean Allemane (1843-1935), thèse, université Paris VII, 1981, p. 346).

2 « Aux lecteurs », La Petite République n° 8075, 24 mai 1898, p. 1.

3 Millerand avait été rédacteur en chef de La Petite République de juillet 1893 à janvier 1897.

4 Michel Cordillot, notice Lucien Sanial du Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis : https://maitron.fr/spip.php?article159445 .

5 « Consultation internationale des militants socialistes », La Petite République n° 8525, 17 août 1899, p. 1.

6 Aucun nom de traducteur n’étant indiqué, on ne peut faire que des hypothèses : le socialiste polonais Ignacy Urbach, vivant à Paris, journaliste à La Petite République et traducteur de l’allemand, est une supposition très crédible (voir ma notice du Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article240136 ). Le socialiste et journaliste russe Boris Kritchevski, vivant à Paris, est une autre possibilité (il signait parfois « B. Veillard » dans la presse française).

7 Certains militants peuvent aussi avoir fait traduire par un camarade de leur pays leur texte en français avant de l’envoyer. C’est d’ailleurs de ne pas avoir pu le faire que Keir Hardie s’excuse : « Je regrette d’être obligé de vous envoyer ma réponse en anglais, mais le citoyen qui est chargé des traductions par notre parti est actuellement en vacances ».

8 Il confond également Wilhelm Liebknecht avec son fils Karl Liebknecht, et fait plusieurs erreurs de chiffres : par exemple en comptant 48 militants sollicités, au lieu de 49 en réalité (il reproduit pourtant les 49 noms à la p. 119), dont « 7 Italiens » au lieu de 6 en réalité, issus de « douze pays » alors qu’il s’agit en fait de 13 pays ; ces trois chiffres inexacts sont repris dans Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014, p. 251 ; deux de ces inexactitudes sont reprises dans Jean Jaurès, Œuvres, tome 7, Paris, Fayard, 2001, p. 575 et 675.

9 Souligné dans l’original.

10 Plusieurs militants vivent en exil au moment de leur réponse, dont Plekhanov, Lavrov, Bernstein et Kritchevski.

11 On sait par ailleurs que W. Liebknecht avait cru Dreyfus coupable, tout en étant favorable à la révision du procès ; il a néanmoins fait le choix de n’exprimer cette opinion ni à La Petite République, ni au POF.

12 K. Kautsky, « Jaurès und Millerand », Vorwärts n° 177, 1er août 1899, p. 3, et Karl Kautsky, « Jaurès et Millerand », Le Mouvement socialiste n° 15, 15 août 1899, p. 207-213 (traduction d’Ignacy Urbach, sous le pseudonyme « J. Rivière »).

13 Curieusement, Antonio Labriola écrit à La Petite République qu’il répond à la « circulaire du 29 du mois passé », et Paul Singer parle de « vos questions du 29 août » : ils étaient pourtant tous deux dans la liste publiée le 17 août et devaient logiquement recevoir la circulaire du 2 août. S’agit-il d’une coquille, « 2 » devant être lu au lieu de « 29 » ? Ou bien Labriola et Singer avaient-ils été oubliés lors d’une première série d’envois, qui aurait été suivie d’une deuxième le 29 août ?

14 Son nom est écrit « Schiflonski » dans La Petite République du 17 août 1899 ; les Cahiers de la quinzaine s’excusent d’avoir reproduit cette erreur dans leur numéro du 5 mars 1900.

15 Par exemple, La Petite République n’ayant pas l’adresse de Rosa Luxemburg (à Berlin), elle lui écrit à l’adresse du quotidien socialiste Leipziger Volkszeitung auquel elle participait, donc à Leipzig, et la circulaire lui est finalement renvoyée chez elle (lettre de Rosa Luxemburg à Leo Jogiches, 15 août 1899, à paraître dans le tome I de la Correspondance complète de Rosa Luxemburg, éditions Smolny, 2025).

16 Dès le 6 août 1899, les guesdistes traduisaient dans leur hebdomadaire Le Socialiste des articles de socialistes allemands et italien opposés à Millerand : Wilhelm Liebknecht, Paul Singer et Arturo Labriola (ce dernier ne devant pas être confondu avec Antonio Labriola, qui répond à la consultation, mais en l’occurrence leur position est identique) ; puis le 13 août de Rosa Luxemburg, et le 20 août de Parvus et de Kautsky.

17 « Confirmation internationale », Le Socialiste n° 64, 29 octobre 1899, p. 1-2 (l’article n’est pas signé).

18 Congrès général des organisations socialistes françaises tenu à Paris du 3 au 8 décembre 1899, compte rendu sténographique officiel, Paris, Bellais, 1900, p. 178 et 181.

19 Paul Lafargue, « Le congrès socialiste », Le Petit sou n° 13, 17 septembre 1900, p. 1.

20 Cette motion s’opposait à l’entrée d’un socialiste dans un gouvernement « bourgeois », sauf cas exceptionnels. Mais implicitement, le cas de Millerand était nettement désavoué : « L’entrée d’un socialiste dans un gouvernement bourgeois ne permet d’espérer de bons résultats pour le prolétariat militant que si le Parti socialiste, dans sa grande majorité, approuve un pareil acte et si le ministre socialiste reste le mandataire de son parti. Dans le cas, au contraire, où le ministre devient indépendant de ce parti, ou n’en représente qu’une portion [ce qui est le cas de Millerand], son intervention dans un ministère bourgeois menace d’amener la désorganisation et la confusion pour le prolétariat militant ; elle menace de l’affaiblir au lieu de le fortifier » (Cinquième congrès socialiste international, tenu à Paris du 23 au 27 septembre 1900, compte rendu analytique officiel, Paris, Bellais, 1901, p. 115).

21 Parvus ajoute : « Aucun parti bourgeois n’oserait demander une opinion sur une question nationale au-delà des frontières » (« Consultation internationale », La Petite République n° 8663, 2 janvier 1900, p. 1).

Soirée-débat : Jean Jaurès par Jean-Numa Ducange

À l’occasion de la publication de la biographie de Jean Jaurès par Jean-Numa Ducange, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Rouen-Normandie, la Fondation Jean Jaurès les éditions Perrin organisent une soirée-débat le 19 septembre 2024. 

Cette soirée sera animée par son auteur Jean-Numa Ducange et Emmanuel Laurentin, animateur chez Radio France et se déroulera à la Fondation Jean Jaurès. Il sera question du point de vue renouvelé sur Jaurès, alimenté par l’étude de sources inédites. 

L’étude de la figure du proue du socialisme français repose sur l’étude d’une nouvelle documentation archivistique, permettant de comprendre de nouvelles facettes du socialiste. C’est aussi un regard précis sur l’influence locale l’influence locale, nationale mais surtout internationale de Jean Jaurès. 

Lien vers l’événement. 

Jean Jaurès - 1

Date et lieu 

19 septembre 2024

18h30-20h30

Fondation Jean-Jaurès, Cité Malesherbes, Paris, France

 

Nationalisme, socialisme et communisme : bilan des historiographies et tour d’horizon bibliographique en pays tchèques

EUROSOC et ses lecteurs doivent cette contribution à Alexandre Riou, doctorant en histoire contemporaine sous la direction de Jean-Numa Ducange et d’Etienne Boisserie (Université de Rouen-Normandie/Inalco) dont les travaux de recherche portent sur l’histoire politique et sociale de l’Europe médiane et plus spécifiquement sur l’histoire de la social-démocratie “tchéco-slave”de sa genèse à sa rupture avec le KSČ (vers 1860 à 1921).

Carte issue de Encyclopaedia Britannica

L’étude des grands sujets structurant la science historique en Europe médiane n’est guère aisée. En effet, l’enchevêtrement de plusieurs logiques, tantôt complémentaires, tantôt conflictuelles, a tendance, contrairement à d’autres aires géographiques, à complexifier le tableau. Aussi la nationalité d’appartenance de l’historien va indubitablement influencer son spectre d’analyse et les objets d’études qui vont constituer les grands courants historiographiques.

Dans le champ académique tchèque, concernant les périodes de la Double-Monarchie, il est à noter la difficulté d’une analyse sans une mise en relief avec les grands courants historiographiques qui se sont développés dans les territoires germanophones d’Autriche et dans les Universités de langue allemande[1]. En effet, les champs d’études disciplinaires ont intimement suivi les évolutions et les bouleversements politiques et sociaux qui secouèrent l’Empire d’Autriche jusqu’à son éclatement et ont, en toute logique, été fortement influencés par le cadre même de la structure étatique dans laquelle ils s’inscrivaient.

Ce billet propose quelques repères fondamentaux des grands courants historiographiques qui ont charpenté – et encore de nos jours – les études historiques menées sur ce territoire. Parmi les axes structurants de l’historiographie en Pays Tchèques, l’histoire politique et notamment la question nationale sont centrales, notamment dans les deux décennies qui suivirent la proclamation d’indépendance de la Tchécoslovaquie. Mais il nous faut noter une place importante accordée à l’histoire des mouvements ouvriers, qui, sans surprise, furent très présents depuis la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle.

Les débuts d’une histoire

L’historien tchèque Jiří Kořalka[2] rappelle que le développement d’une historiographie tchèque rétrospective sur leur propre histoire et réellement émancipée ne débute qu’en 1918 et la proclamation de l’indépendance de la Tchécoslovaquie[3].

Sans surprise, par la suite, la Tchécoslovaquie naissante va voir de nouveaux thèmes se développer liés à son histoire propre, à sa renaissance nationale aboutie dans le cadre de l’Etat-nation. Pour autant, l’historiographie tchèque ne débute pas à la fin de la Première guerre mondiale. Au mitan du 19ème siècle František Palacký, historien célèbre et homme politique d’Empire, fondateur du concept de l’austro-slavisme a combiné l’activisme politique au discours historique national.  Tout en défendant sur le plan politique un impérieux et indispensable maintien de l’Empire d’Autriche puis de la Double-Monarchie, il consacra une œuvre historique monumentale sur l’histoire du peuple tchèque. Parmi ses principaux ouvrages : Dějiny národu českého v Čechách a v Moravě[4], Geschichte von Böhmen[5]. Des œuvres qui, dans une approche diachronique, traitèrent des spécificités du peuple Tchèque, de son rôle dans l’histoire européenne et surtout de l’importance de son histoire et du rôle qu’il tint dans le façonnement de l’Europe. Derrière ces travaux reconnus, l’enjeu était double en permettant de contribuer à la reconnaissance du Droit d’Etat pour les Tchèques dans leurs territoires[6] et ainsi leur assurer l’autonomie politique et culturelle réclamée.

František Palacký

1918 : des historiens au fondement de la nation

Dès octobre 1918, soit le mois même de l’indépendance tchèque, Jaroslav Goll, fonda, et devint par la suite le dirigeant incontesté pour plusieurs générations d’historiens, de l’école dite positiviste, . Il est considéré comme le père de « l’Ecole historique Tchèque moderne ». Jaroslav Goll continue encore aujourd’hui d’alimenter des recherches et des débats historiographiques au sein des milieux académiques tchèques[7].

Dès décembre 1918, le premier périodique d’histoire tchèque parut, à l’initiative de l’éditeur Josef Pekař, intitulé Český historický časopis[8], et dont les buts affichés étaient clairs. On comprend alors que ce sont les cercles autour de l’indépendance qui ont guidé avant tout l’histoire tchèque, et que de fait il ne pourrait y avoir de but et d’idéal pour un peuple sans posséder une haute conscience de masse[9].

En opposition à ces deux historiens, apparut un groupe de jeunes historiens tchèques particulièrement actifs, lesquels tentèrent de mettre en place la réalisation d’une solution globale à « l’autrichianisation[10] » du tout récent Etat tchécoslovaque. Ou tout du moins de prendre ses distances avec les anciens mécanismes régissant l’Empire, et largement sous domination autrichienne, y compris dans la manière d’appréhender et de concevoir les sciences humaines. Ce mouvement débuta avant 1918 et les grands bouleversements géopolitiques et institutionnels, sous la houlette de l’archiviste praguois Josef Borovička.

Au cours de cette période, nous constatons une baisse de l’intérêt des travaux académiques portant sur la période de la Double-Monarchie. L’accent est davantage porté sur la période précédente, à savoir les années du règne de François-Joseph avant la grande réforme constitutionnelle, ainsi que sur le fameux débat portant sur l’usage des termes « bohémiens » et « tchèques »[11], étude menée notamment par le pédagogue Antonín Beer[12]. La question de la responsabilité de la guerre fut également abordée par des historiens tchèques au cours de cette période, avec Vlastimil Kybal, et Josef Matoušek dans la cadre des affaires intérieures et extérieures de la monarchie entre 1867 et 1918[13].

Dans la foulée, la chute de la monarchie appela également des études sur l’apparition des Etats-nations d’Europe centrale[14], et l’examen nécessaire du développement tchèque dans les dernières années de la monarchie, ainsi que les éléments qui amenèrent à son indépendance. Parmi les historiens de ce mouvement et de cette période, nous pouvons notamment citer Karel Kazbunda. Les études de ce courant étaient très centrées sur la nation Tchèque et analysées dans le temps long, c’est-à-dire que l’indépendance était lue par les historiens comme la continuité du débat de 1871[15] qui parvenait à son aboutissement avec la victoire des patriotes Tchèques.

Les décennies 1920 et 1930

Durant la période comprise entre 1920 et 1939[16] on assista à la poursuite d’une historiographie dite « libérale et positiviste », modérée et qui domina le champ disciplinaire en s’inscrivant essentiellement dans le cadre d’une histoire européenne. Parmi les historiens phares de la période, nous pouvons notamment citer Josef Šusta qui écrivit Světová Politika v letech 1871-1914[17]. Des ouvrages qui étaient pour beaucoup destinés à la formation des élites politiques et diplomatiques du nouvel Etat. Au cours de cette période, la thèse majoritairement défendue par les historiens étaient une présentation de l’Empire d’Autriche qualifié de secondaire face à un expansionnisme allemand de plus en plus menaçant[18]. Durant l’entre-deux-guerres, il y eut également des études sur le dualisme, principalement l’oeuvre de journalistes et de publicistes. Nous retiendrons notamment le nom de Bedřich Hlaváč, correspondant viennois du quotidien le Čas[19] qui publia une impressionnante biographie tchèque de l’empereur François-Joseph.

La Seconde Guerre mondiale

Au cours de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de la Bohême et de la Moravie par les Nazis, entité connue sous le nom de protectorat de Bohême-Moravie, il y eu une absence notoire d’ouvrages traitant des aspects liés à la Question nationale à la fin de la Double-Monarchie. Au contraire, les ouvrages apparurent davantage sur des domaines variés, ayant trait à la culture tchèque et ses apports spécifiques dans la grande histoire de l’Europe et de l’histoire mondiale[20]. Le régime nazi refusait cette lecture d’une Autriche morcelée entre plusieurs peuples, démembrée qui ne correspondait pas à sa doctrine et au récit historique qui en était issu et qu’il souhaitait propager.

1948 et la naissance de la « République socialiste de Tchécoslovaquie »: une histoire sociale marxiste mise en avant

Nous en arrivons désormais à la partie qui concerne l’après-guerre et la mise en place de la République populaire Tchécoslovaque suite au coup de Prague de 1948, qui, sans surprise, eut un impact non négligeable sur les études historiques qui furent menées au cours de la période. Cette période chronologique attacha, une fois encore sans surprise, une grande importance à l’histoire des mouvements ouvriers. Cependant, nous allons voir dans quelle mesure, cela se mit en place. En effet, la recherche et l’écriture de la science historique devait répondre aux canons de la pensée du marxisme-léninisme pour être jugées recevable. Cela implique que les productions scientifiques écrites et parues au cours de la période doivent être prises avec précautions. Une prise de recul par une lecture critique est de ce fait, indispensable pour ne pas sombrer dans certains biais.

Parmi les différents objets de recherche que nous retrouvons entre les années 1950 – 1990, nous pouvons notamment citer des travaux liés à la Révolution Industrielle[22], qui sans exclusive sur la Bohême, se situaient à l’échelle régionale de l’Europe médiane. Le principal auteur fut Jaroslav Purš, qui traita des économies régionales et s’attela aussi aux questions sociales ainsi qu’aux différentes tentatives d’organisation des mouvements ouvriers[23] et qu’aux mouvements de masse, qui survinrent dans les territoires de Bohême après la chute de la Monarchie habsbourgeoise.

Nous pouvons également noter des travaux concernant les suites de l’industrialisation capitaliste au sein des sociétés centre-européennes qui intégrèrent des études statistiques des populations de l’Autriche afin d’opérer une mise en lumière des structures sociales et démographiques de la Monarchie. Cela sous-entendait donc un regain des études liées à la  « question nationale » qui se déploya dans les années 1960-1970 autour de Ludmila Karníková et ses travaux diachroniques sur la démographie Tchèque[24], Blanka Pitronová[25] ou encore Milada Paulová[26]. L’annexion de 1908 eut un fort écho dans l’historiographie Tchèque de la décennie 1960-1970[27].

Quelques historiens phares peuvent également être mis en avant dont en premier lieu l’historien majeur de ces sujets, Zdeněk Šolle et son ouvrage sur les grèves ouvrières au cours de la première moitié du XIXe siècle (Dělnické stávky v Čechach v druhé polovině XIX. Století [Les grèves ouvrières en Bohême durant la première moitié du XIXe siècle], Praha, Nakladatelství ČSAV, 1960), mais nous pouvons également citer Jiří Kořalka qui travailla sur l’émergence du mouvement ouvrier Tchèque au sein de l’Empire d‘Autriche (« Zur internationalen der Entstehung der tschechischen Arbeiterbewegung im alten Österreich » [Sur l’émergence internationale du mouvement ouvrier Tchèque dans la Vieille-Autriche], Österreichische Osthefte 7, 1965), ou encore Jan Galandauer qui réalisa une oeuvre majeure, une biographie du leader social-démocrate tchèque Bohumír Šmeral. Šmeral est une personne clé du socialisme Tchèque à la charnière de la Grande Guerre, il incarnait la ligne de maintien de l’Empire au sein du Parti Social-Démocrate Tchèque jusqu’à la fin de la guerre. A l’issue de celle-ci, en 1921, il fut le principal fondateur du Parti Communiste tchécoslovaque (KSČ). Enfin, il apparaît indispensable de mentionner un autre historien de la période, Zdeněk Karník, qui écrivit un ouvrage de référence sur la trajectoire des responsables sociaux-démocrates Tchèques au cours de la Guerre 1914-1918 (Kárník Z., Habsburk, Masaryk či Šmeral Socialisté na rozcestí [Les Habsbourg, Masaryk et Šmeral. Les Socialistes à la croisée des chemins], Prague, Karolinum, 1996). 

Bohumír Šmeral

La question militaire

L’historien Jan Beránek, quant à lui, s’attela, aux côtés de plusieurs autres historiens, à travailler sur les thématiques du militarisme[32] et de l’anti-militarisme avant la période de 1914[33]. Les dimensions militaires et diplomatiques au cours de la Grande Guerre ne furent pas non plus absentes des études historiques menées au cours de la période ainsi que la voix des hommes politiques Tchèques, qu’ils aient été en exil ou soient restés sur le sol autrichien pour défendre les intérêts nationaux du peuple tchèque. Karel Pichlík fut l’un des historiens principaux sur ces sujets avec des travaux sur la lutte des Tchèques et des Slovaques contre l’autorité impériale durant la Première Guerre mondiale avec notamment Les soldats Tchèques contre la guerre 1914-1915[34].

Les Tchèques et les autres nations

Des travaux traitant des relations internationales, examinant notamment les rapports entre la Bohême et la France à cette époque, eurent également lieux à cette époque. Elle se penchèrent sur les relations particulières que ces deux territoires ont entretenues, par des études montées sur la base des archives diplomatiques françaises par Pavla Horská-Vrbová, et notamment sur les réseaux de contacts des élites tchèques avant 1918[35].

Les études traitant des rapports de la société tchèque à l’Autriche étaient l’objet de recherches tenues par ce qu’il convient d’appeler la « vieille génération d’historiens » tenante d’études notamment sur l’austro-slavisme[36]. Or celle-ci fut supplantée par une nouvelle génération, à partir de 1955 et qui se caractérisa par des études sur les mouvements ouvriers au sein de l’Empire depuis le congrès de Neudörfl en 1874 mais aussi les journées du Wiener Arbeitertagen[37], dont le tout premier en 1868.

Distance critique et apports historiographique de l’ère communiste

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la période communiste n’empêcha pas la réflexion historique de se développer en embrassant un large champ d’objets. Pour autant, les ouvrages employés ou tout simplement lus, qui ont été rédigés au cours de cette période doivent tout de même faire l’objet d’une attention particulière. En effet, il nous faut les faire passer par « le filtre de la déconstruction » des impératifs scientifiques, historiques et idéologiques du régime au moyen d’une lecture méthodologiquement rigoureuse. Une fois cette lecture disciplinée effectuée, ils s’avèrent être d’une grande qualité.  

La fin de l’ère communiste tchécoslovaque : recul et persistances des études sur le mouvement ouvrier

Nous allons notamment avoir l’historien Pavel Cibulka qui traita de cet objet de manière indirecte en consacrant un ouvrage aux partis politiques allemands de Moravie entre 1890 et 1918[38], un autre sur  les programmes politiques des partis nationaux Tchèques entre 1860 et 1890[39] ou encore un ouvrage collectif cette fois-ci aux côtés des historiens Milan Hlavačka et Olga Fejtová sur la pensée sociale et la pratique sociale en Pays Tchèques entre la fin du XVIIIe jusqu’aux débuts de la Seconde Guerre mondiale[40]. L’historien évoqué précédemment, Zdeněk Kárník, co-dirigea encore, à partir du début des années 2000, un ouvrage[41] en plusieurs volumes, assez colossal, sur le bolchévisme, le communisme et le socialisme radical en Tchécoslovaquie faisant appel à un large panel d’universitaires Tchèques spécialisés sur la période. Parmi lesquels, nous retrouvons notamment l’historien Michal Kopeček, membre de l’Institut d’Histoire contemporaine de l’Académie des Sciences de République tchèque et dont les nombreux travaux portent sur le « socialisme tardif » et la transformation post socialiste des sociétés centre-européennes. Il s’agit là d’un champ d’études et de recherches très prégnant jusqu’à aujourd’hui dans le champ académique tchèque. Des travaux portant sur les sujets liés à la dissidence des sociétés civiles[42] ou encore la manière dont la société s’est construite[43] dans les mois, années et décennies qui ont suivi le cycle de révolutions[44] qui mirent fin aux démocraties populaires.

Zdeněk Kárník

Un autre champ que nous souhaitions également évoquer a trait à la pensée sociale au sein de l’Eglise[45] avec l’historien Jakub Štofaník, de l’Académie des Sciences de République tchèque. Un second pendant de l’histoire des mouvements ouvriers moins présent et pourtant fondamental lorsque l’on connaît le poids des mouvements dits chrétiens-sociaux dans la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle en Europe médiane bien que sur le strict plan politique, les représentants de ce courant politique, qui participaient également à « l’encadrement » de la classe ouvrière, étaient moins présents et puissants en Bohême que dans d’autres territoires de l’Empire ou Etats suite à l’avènement des Etats-Nations de 1918.

Les historiens Tchèques de l’émigration et de l’exil

Comme nous le rappelle l’historien Josef Hanzal[46], « l’émigration n’est pas un phénomène isolé dans l’histoire tchèque, depuis les exilés d’après la Montagne Blanche[47] qui ont dû fuir la patrie pour la foi, ils inscrirent continuellement leur nom à l’Histoire nationale ». Au cours du XXe siècle, les raisons de l’exil ne manquèrent pas pour les intellectuels et les politiques que ce soit au cours de la Seconde Guerre mondiale afin de fuir les exactions du nazisme ou encore après-guerre pour échapper à la répression du régime communiste. Il nous semblait important d’y faire mention dans cet article.

Sans grande surprise, ce sont les Etats-Unis qui accueillirent la plus grande part de ces historiens et publicistes qui purent, pour un certain nombre d’entre eux, poursuivre leurs carrières outre-Atlantique, ou encore dans les pays européens de l’Ouest leur offrant les conditions d’une recherche scientifique et d’une expression d’opinion libres.

Sans présenter l’exhaustivité de ces historiens et de leurs travaux, quelques objets de recherche se sont détachés comme les apports des Slaves à la civilisation mondiale avec František Dvorník[48], les origines de la Tchécoslovaquie de Josef Kalvoda[49], les Pays tchèques sous la domination nazie avec Vojtěch Mastný[50] ou encore des travaux portant sur les accords de Munich avec notamment l’historien Milan Hauner.

Sur les mouvements ouvriers, deux historiens que nous souhaiterions notamment évoquer Radomír Luža qui se distingua d’une part par un engagement antifasciste durant la Seconde Guerre mondiale et par un engagement hostile aux communistes dans les années qui la suivirent. Il produisit une étude sur les mouvements socialistes internationaux de la jeunesse[51] et travailla également sur l’Autriche et l’idée « Grande-Allemande » durant le national-socialisme[52]. Citons également un ouvrage phare co-écrit avec Victor S. Mamatey, historien américain réputé d’origine slovaque et spécialisé sur l’Europe centrale et orientale, portant sur l’Histoire de la République Tchécoslovaque[53] jusqu’au Coup de Prague. Ouvrage qui demeure aujourd’hui encore une référence. Jiří Svoboda quant à lui fournit des contributions sur l’anarchisme en Bohême dans la revue East european Quarterly[54].

Enfin, pour le cas français, nous pouvons faire écho à Karel Bartošek qui prit le chemin de l’exil à la suite d’août 1968 suite à son exclusion du Parti Communiste Tchécoslovaque et qui s’intéressa aux processus politiques en Tchécoslovaquie et plus largement au communisme.

Conclusion

Cette contribution nous a présenté un portrait assez large des courants historiographiques Tchèques, essentiellement depuis 1918 et la proclamation de l’indépendance de la Tchécoslovaquie, quoique, comme nous l’avons vu, une historiographique que nous pouvons qualifier de « Tchèque » a bel et bien préexisté à l’indépendance. Certes sous une forme différente.

L’objectif affiché de ce court article était donc avant tout de resituer et synthétiser un certain nombre des grands débats qui structurèrent les études historiques en territoires Tchèques tout en apportant des références bibliographiques qui, sans tendre à l’exhaustivité, présentent les principaux ouvrages des auteurs qui incarnèrent ou incarnent ces courants. La partie plus contemporaine, soit après la Révolution de velours vise davantage à présenter quelques axes et travaux de recherche qui ressortent et que nous approfondirons prochainement sous la forme d’une fiche bibliographique plus dense.

Alexandre Riou

Doctorant en histoire contemporaine sous la direction de Jean-Numa Ducange et d’Etienne Boisserie (Université de Rouen-Normandie/Inalco) dont les travaux de recherche portent sur l’histoire politique et sociale de l’Europe médiane et plus spécifiquement sur l’histoire de la social-démocratie “tchéco-slave”de sa genèse à sa rupture avec le KSČ (vers 1860 à 1921).

[1] Jusqu’en 1882, l’Université Charles de Prague était une université de langue allemande. A partir de cette date, elle fut scindée en deux entités. L’une germanophone, l’autre tchécophone. Il va sans dire, ce que cela produisit en termes de tensions au sein de la Ville.

[2] Kořalka J., « Die letzten Jahrzehnte der Habsburgermonarchie in der tschechischen Geschichtsschreibung 1918-1982 », Austriaca n°18, 1984. Article complet et très bien documenté servant de base à cette analyse, pour la période de l’entre-deux guerres.

[3] Le 28 octobre 1918.

[4] Palacký F., Dějiny českého národu v Čechách a na Moravě [Histoire de la nation Tchèque en Bohême et en Moravie], Praha, Bursík a Kohout,1896.

[5] Palacký F., Z Dějin národu českého [Histoire de la Bohême], Praha, SNKLHU, 1957 (první edice od 1844).

[6] La particularité de la Bohême et de la Moravie, à la différence de bien des peuples de l’Empire était de concentrer l’immense majorité de sa population au sein de son territoire historique et défini.

[7] Kazbunda K., Jaroslav Goll a Josef Pekař ve víru války světové [Jaroslav Goll et Joseph Pekař dans le tourbillon de la Première Guerre mondiale], Praha, (Martin Kučera éd.) Karolinum, 2000. Il s’agit d’une reprise de manuscrit de l’historien K. Kazbunda préparé dans les années 70 et publié par un autre historien, M. Kučera en 2000.

[8] La revue historique Tchèque.

[9]« Das Ringen um die tschechische Selbständigkeit hat vor allem die tschechische Geschichte geführt. Gäbe es sie nicht, wären wir eine Masse, die kein höheres Selbstbewußtsein besitzt, ein Volk ohne Ziel und Ideal. », citation de l’éditeur tchèque Josef Pekař, Die Tschechische Geschichtsschreibung, « Austriaca n°18 », 1984.

[10] Le terme utilisé est entösterreicherung, inexistant en français, mais construit sur le même modèle, et la même idée que « germanisation ». D’où notre choix de traduction, ayant le mérite de garder l’idée générale du propos.

[11] L’historien Paul Pasteur, dans son Histoire de l’Autriche, De l’Empire multinational à la nation autrichienne (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Armand Colin, 2011, écrivit quelques lignes à ce sujet, arguant que le terme « bohémien », Die Böhmen, était usité par l’aristocratie allemande, à la différence de Tschechisch, désignant plutôt le peuple.

[12] Beer A., K dějinám slov böhmisch a čechisch [De l’histoire des mots bohémien et tchèque], Praha, Šolc, 1917.

Beer A., Arnošt Kraus: Ještě jednou böhmisch a tschechisch : na obranu… [Arnošt Kraus : une fois encore, bohémien et tchèque : pour la défense], Praha, Otisk z Naší vědy, 1921.

[13] Il s’agissait ici davantage de traiter de l’évolution de la politique de François-Joseph et de ses conséquences sur le continent, que de traiter de la forme constitutionnelle du régime, et des débats qu’elle engendra.

[14] Le terme employé est Mitteleuropa, mais trop connoté à notre sens pour être employé ici, et surtout incluant l’Allemagne.

[15] 1871 marque l’échec du trialisme, souhaité ardemment par les Tchèques mais qui fut finalement abandonné par l’Empereur sous la pression des élites magyars qui « s’allièrent » aux nationaux-allemands.

[16] En mars 1939, les nazis instituèrent le protectorat Tchéco-morave.

[17]Šusta J., Politique mondiale de 1871 à 1914, Praha, Vesmír, 1924-1931.

[18] Une lecture rétrospective qui va à rebours de la lecture des élites et de l’aristocratie impériales qui pensaient encore pouvoir faire jeu égal avec la Prusse puis l’Allemagne jusqu’à une date avancée bien que la défaite de Sadowa en 1866 ait entériné définitivement la supériorité politique et militaire des Prussiens dans le jeu géopolitique européen.

[19] Quotidien de T. G. Masaryk.

[20] Kořalka J., « Die letzten Jahrzehnte der Habsburgermonarchie in der tschechischen Geschichtsschreibung 1918-1982 », Austriaca n°18, 1984.

[21] Ce nom a été officiellement adopté par le régime en 1960. Cependant, dès le Coup de Prague de 1948, le régime est de facto devenu une « République socialiste ».

[22] Purš J. Průmyslová revoluce v českých zemích [Révolution industrielle dans les Pays Tchèques], Praha, SNTL, 1960.

[23] Purš J., Brožura z počátků českého politického hnutí [Brochure du commencement du mouvement politique Tchèque], Praha, ČSAV, 1959.

[24] Elle publia un ouvrage sur les évolutions démographiques Tchèques entre le XVIIIe et le début du XXe siècle. Kárníková L., Vývoj obyvatelstva v českých zemích 1754-1914 [Evolution des populations dans les Pays Tchèques entre 1754 et 1914], Praha, ČSAV, 1965.

[25] Elle travailla notamment sur les sujets de langues d’usage et de conditions de nationalité.

[26] L’historienne se pencha essentiellement sur les rapports entre les Tchèques et les Slaves du sud.

[27] Paulová M., Balkánské války 1912–1913 a český lid [Les guerres balkaniques – 1912-1913 et les Tchèques], Praha, ČSAV, 1963.

[28] Šolle Z., Dělnické stávky v Čechach v druhé polovině XIX. Století [Les grèves ouvrières en Bohême durant la première moitié du XIXe siècle], Praha, Nakladatelství ČSAV, 1960.

[29] Kořalka J., « Zur internationalen der Entstehung der tschechischen Arbeiterbewegung im alten Österreich » [Sur l’émergence internationale du mouvement ouvrier Tchèque dans la Vieille-Autriche], Österreichische Osthefte 7, 1965.

[30] Personnage clé du socialisme Tchèque à la charnière de la Grande Guerre, il incarnait la ligne de maintien de l’Empire au sein du Parti Social-Démocrate Tchèque jusqu’à la fin de la guerre. A l’issue de celle-ci, en 1921, il fut le principal fondateur du Parti Communiste tchécoslovaque (KSČ).

[31] Kárník Z., Habsburk, Masaryk či Šmeral Socialisté na rozcestí [Les Habsbourg, Masaryk et Šmeral. Les Socialistes à la croisée des chemins], Prague, Karolinum, 1996.

[32] Beránek J., Rakouský militarismus a boj proti němu v Čechách: příspěvek k některým otázkám “vnitřní” úlohy Rakouské armády a antimilitaristického hnutí v letech 1900-1914 [Le militarisme autrichien et la lutte contre en Bohême: contribution à quelques questions du rôle „interne“ de l’armée autrichienne et du mouvement anti-militariste dans les années 1900-1914], Naše Vojsko, 1955.

[33] Un sujet sensible dans la mesure où les Tchèques éprouvèrent bien des réticences à combattre sous l’étendard autrichien au cours de la Grande Guerre. Un grand nombre d’entre eux, faits prisonniers, furent d’ailleurs formés par les Français pour constituer la Légion Tchécoslovaque qui combattit aux côtés des alliés puis ensuite contre l’URSS en renfort de l’Armée Blanche. Pour plus de précisions sur ce sujet, voir Boisserie E., Les Tchèques dans l’Autriche-Hongrie en guerre (1914-1918) : « nous ne croyons plus aucune promesse », Paris, Eur’Orbem Editions, 2017.

[34] Pichlík K., Čeští vojáci proti válce 1914 -1915 [Les soldats Tchèques contre la guerre 1914-1915], Praha, Naše Vojsko, 1961.

[35] Cité par Jiří Kořalka Ibid. 2.

[36] Citons les historiens Václav Žáček ou Antonín Okáč.

[37] Que nous pourrions traduire par « Les journées ouvrières de Vienne ».

[38] Cibulka P., Politické německé strany na Moravě (1890-1918) : Ideje, Programy, Osobnosti [Les partis politiques allemands en Moravie (1890-1918) : Idées, Programmes et Personnalités], Praha, Historický ústav AV ČR, 2012.

[39] Cibulka P., Politické programy českých národních stran v letech 1860-1890 [Les programmes politiques des partis nationaux tchèques dans les années 1860-1890], Praha, Historický ústav AV ČR, 2000.

[40] Hlavačka M., Fejtová O., Cibulka P., Sociální myšlení a sociální praxe v českých zemích 1781-1939 [Les pensées sociales et les pratiques sociales dans les Pays tchèques 1781-1939], Praham Historický ústav AV ČR, 2015.

[41] Kárník Z., Pažout J., Rákosník J., Kocian J., Bolševismus, komunismus a radikální socialismus v Československu [Bolchévisme, communisme et socialisme radical en Tchécoslovaquie], Praha, Dokořán, 2003-2011 (8 svazků).

[42] Suk J., Vilímek T., Hermann T., Zahradníček T., Kopeček M., Andělová K., Šest kapitol o disentu [6 chapitres sur la dissidence], Praha, Ústav pro soudobé dějiny AV ČR, 2017.

[43] Kopeček M., Gjuričová A., Kapitoly z dějin české demokracie po roce 1989 [Chapitres de l’histoire de la démocratie tchèque après 1989], Praha, Paseka, 2008.

[44] Kopeček M., Hledání ztraceného smyslu revoluce [La recherche du sens perdu de la révolution], Praha, Argo, 2008.

[45] Jemelka M., Štofaník J., Víra a nevíra ve stínu továrních komínů : náboženský život průmyslového dělnictva v českých zemích (1918-1938) [La croyance et l’incroyance dans l’ombre des cheminées d’usines : la vie religieuse de la force de travail industrielle dans les Pays tchèques (1918-1938)], Praha, Academia-Masarykův ústav a Archiv AV ČR, 2020.

[46] Hanzal J., Cesty české historiografie 1945-1989 [Les chemins de l’historiographie tchèque 1945-1989], Praha, Nakladatelství Karolinum, 1999.

[47] Bataille qui se tint en 1620, qui constitua l’un des plus importants affrontements de la Guerre de Trente Ans et entraîna des conséquences politiques et culturelles majeures pour la Bohême la plaçant dans une position d’effacement jusqu’au Renouveau national à partir de la fin du XVIIIe siècle.

[48] Homme d’église et historien renommé, il figure encore aujourd’hui comme une référence parmi les byzantinistes. Il enseigna à Harvard à partir de 1948.

[49] Kalvoda J., The Genesis of Czechoslovakia, East european Monographs, New York, 1986.

[50] Mastný V., The Czech under Nazi rules. The failure of National Resistance 1939-1942, New York and London, Columbia University Press, 1971.

[51] Luža R., History of the International Socialist Youth Movement, A.W. Sijthoff, Leyden, 1970.

[52] Luža R., Österreich und die großedeutsche Idee in der NS Zeit [L’Autriche et l’idée « Grande-Allemande » sous le national-socialisme], Böhlau Verlag, Wien, 1977.

[53] Mamatey V. S., Luža, R., A History of the Czechoslovak Republic 1918-1948, Princeton, Princeton University Press, 1973.

[54] Svoboda G. J., «  Anarchism in Bohemia: The Prague Anti- Habsburg Revolutionary Society 1868-1872. » East European Quarterly 11, n°3, 1977.