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Compte-rendu : Rémy Pech, 1925 Etienne Billières, un maire visionnaire au capitole.

« La question communale est plus de la moitié de la question sociale » nous disait Paul Brousse, socialiste « possibiliste » et l’un des premiers théoriciens , du socialisme municipal[1]. Une citation qui prend tout son sens lorsque l’on se penche sur le parcours et l’action d’Etienne Billières, maire de Toulouse entre 1925 et 1935 que nous propose l’historien Rémy Pech dans son ouvrage intitulé 1925 Etienne Billières, un maire visionnaire au capitole (2025), et publié aux éditions midi-pyrénéennes à l’occasion du centenaire de son édilité.

Un ouvrage concis mais dense qui permet de découvrir le parcours et l’action d’un élu de terrain que rien ne prédestinait en 1925 à occuper cette fonction et à transformer en profondeur la cité occitane. En effet, après une parenthèse de 6 ans où le radical Paul Feuga occupa le siège, les socialistes revinrent aux affaires à Toulouse avec une liste qui comportait pas moins de 2 anciens maires – Albert Bedouce et Jean Rieux – et dont Etienne Billières ne figurait qu’en 6e position. Grâce au système du panachage[2], il parvint à remonter en 3e position. Ensuite, la section toulousaine de la SFIO en fit son candidat dans un duel face à Gabriel Ellen-Prevost[3], lors d’un vote interne des adhérents du parti.

L’auteur nous offre un panorama détaillé de la genèse de cette reprise politique, contextualisant cette victoire de 1925 dans l’histoire plus large du socialisme municipal toulousain. En outre, il tout en l’articulant subtilement avec quelques enjeux nationaux, cet ouvrage qui se centre sur l’action d’un homme et de son équipe à la manœuvre et au service de la transformation de Toulouse, ne manque pas de soulever un certain nombre de réflexions et de questionnements.

Tout d’abord, une réflexion sur la trajectoire des guesdistes, dont faisait partie Etienne Billières, qui vont, après quelques réticences dues « à la filiation marxiste », s’emparer de la question municipale et investir ce champ. En effet, comme nous l’indique Rémy Pech « les guesdistes de la fin du XIXe craignaient de trahir leur idéal révolutionnaire en participant à la gestion des communes. (…) Voyant au départ la conquête des mairies comme un appui pour leur propagande révolutionnaire, ils découvrirent vite que les régies (…) et les bureaux de bienfaisance (…) pouvaient préparer de nouvelles avancées politiques[4] ». Ils vont donc finalement franchir ce pas sous l’impulsion du socialiste guesdiste Louis Bach. Il est premier à  élaborer un programme socialiste municipal toulousain, régulièrement actualisé. Ce faisant, il ouvre ainsi la voie à une des expériences socialistes les plus stables en ce qui concerne une grande ville. En effet,  lors des élections de 1900, il ne recueillit que 26% des suffrages en raison de luttes fratricides bien connues du mouvement. En 1906 la donne changea, les socialistes  s’installèrent aux affaires de la cité et n’en partirent plus, hormis deux parenthèses radicales, sous la houlette d’Albert Bedouce et de Jean Rieux.

Ensuite, un autre élément sur lequel nous souhaitions nous arrêter quelques instants concerne la période au sortir de la Grande Guerre qui vit le radical Paul Feuga ravir la mairie. En effet, Rémy Pech nous indique ici qu’une partie des candidats de la liste SFIO de 1919 comportait des soutiens à l’Union sacrée et plus spécifiquement de Marcel Sembat et d’Albert Thomas. Or s’ils ont œuvré pour l’implantation avec succès d’usines d’armements à Toulouse, une partie de la section locale ainsi que de la population toulousaine vit en leur action de ces années passées la position des tenants de la guerre. Par ailleurs, cela apporta également des arguments aux partisans de la motion Cachin-Frossard et la Fédération de Haute-Garonne manqua alors de basculer[5]. Cela fait aussi écho aux travaux et réflexions menés autour du socialisme, de la paix et de son corollaire, la guerre, notamment autour de l’ouvrage collectif qui vient récemment de paraître aux Editions Arbre bleu, dirigé par Elisa Marcobelli[6]. En effet, dans cet ouvrage et notamment via une contribution de Julien Chuzeville, l’on voit comment la défense du pacifisme des Zimmerwaldiens fut aussi utilisée par les partisans de la future IIIe Internationale qui en captèrent l’héritage mémoriel.

Il serait intéressant de creuser également cette période spécifique du scrutin de 1919 afin de voir comment s’articula ce mécontentement local et s’il s’inscrivit dans un cadre plus global du rejet de l’Union sacrée dans l’aile gauche de la SFIO ou si des caractéristiques locales toulousaines se sont développées.

Comme nous l’indique l’auteur, si de premières expériences du socialisme municipal vont effectivement voir le jour dès le début du XXe, c’est bien à partir de 1925 et de l’élection d’Etienne Billières, que cette expérience va entrer dans une nouvelle dimension et forger la cité moderne dont l’héritage laissé est encore visible aujourd’hui. Une politique qui s’articula autour de plusieurs piliers dont l’un d’entre eux fut une politique volontariste du logement autour de programmes d’habitations bon marché pilotés par l’office municipal du logement. Des programmes ambitieux de « cités-jardins » y virent le jour et dont l’adjoint délégué à ces sujets, Emile Berlia, fut le principal artisan. Un programme qui offrait des « groupements de maisons individuelles arborées et agrémentées d’équipements collectifs[7] ». Des réalisations qui nous rappellent Vienne la Rouge qui se développa au cours de ces mêmes années (1919-1934) et pour laquelle, la question du logement « social » moderne, lumineux et permettant l’accès à de nombreux équipements collectifs était absolument centrale. La question éventuelle des contacts ou encore des influences à travers des réseaux militants et d’élus mériterait d’être creusée, d’autant que plusieurs membres éminents de l’équipe d’Etienne Billières ou encore de la section toulousaine de la SFIO étaient parlementaires et ont donc peut-être nourris quelques contacts par le biais de l’appareil parisien. C’est le cas d’Albert Bedouce ainsi que de Vincent Auriol.

En outre, d’autres grandes réalisations telles des immeubles qui offrirent à certains quartiers une « juxtaposition » sociale à défaut d’une stricte mixité. Des programmes  de lutte contre le chômage furent aussi mis en œuvre en permettant aux toulousains d’être employés sur ces chantiers. En parallèle de cela, Etienne Billières vantait « l’outillage communal » tout en l’accompagnant d’un « programme d’équipement public, soutenu avec succès à la chambre par Bedouce[8] ». Des travaux également de remodelage de la ville, d’électrification ou encore la construction de grands équipements sportifs s’ajoutèrent à la liste ambitieuse des réalisations effectuées ou lancées au cours de cette décennie.

Si sa mort prématurée en 1935 et les choix pour le moins malheureux d’une partie de son équipe, au moment de la Seconde Guerre mondiale – hormis Vincent Auriol – ont certainement contribué à entacher son héritage, ce dernier est pourtant encore au cœur des attentions car omniprésent au sein de la ville. Plus largement, alors que nous allons vivre une nouvelle échéance municipale en 2026, Etienne Billières nous renvoie à un socialisme municipal du terrain et de la pratique, davantage que de la théorie, auquel il contribua à inscrire ses lettres de noblesse aux côtés d’autres grands noms des mouvements ouvriers en France, comme en Europe.

L’auteur nous montre aussi, par cet ouvrage centré sur le cas toulousain, combien le socialisme municipal fut et demeure central dans l’entreprise de transformation sociale, au cœur des théories socialistes. C’est peut-être aussi dans les expériences municipales que nous trouvons aujourd’hui certaines des traces les plus pérennes de doctrines socialistes. Tout en évoluant et souvent en s’affrontant, elles cultivent néanmoins par la pratique locale, une forme de fondation commune qui nous remémore, par l’acte fixé par la pierre, des fondamentaux immuables et partagés.

Pech R., 1925 Etienne Billières, un maire visionnaire au capitole, Portet sur Garonne, Editions midi-pyrénéennes, 2025

Par Alexandre Riou, doctorant à l’Université de Rouen-Normandie et à l’Inalco, et chercheur associé au GEO (université de Strasbourg).

[1] Comme nous le rappellent Justinien Raymond et Marc Vuilleumier dans l’article consacré à Paul Brousse dans le Maitron, dès 1878, lors du congrès de la Fédération jurassienne qui s’est tenue à Fribourg, il se déclara partisan de la participation aux élections municipales dès lors qu’il y avait possibilité de s’emparer de la municipalité en question. Voir : https://maitron.fr/brousse-paul-louis-marie/, notice BROUSSE Paul, Louis, Marie par Justinien Raymond, Marc Vuilleumier, version mise en ligne le 16 février 2009, dernière modification le 7 octobre 2024.

[2] Possibilité qui était faite de rayer des noms d’une liste pour les remplacer par d’autres et ainsi permettre à une personne moins bien située dans ladite liste de se voir rehaussée. 

[3] Il devint son Premier adjoint avec une longue liste de délégations, certainement destinée à compenser l’amertume de cette défaite devant les militants du Parti.

[4] Pech R., 1925 Etienne Billières, un maire visionnaire au capitole, Portet sur Garonne, Editions midi-pyrénéennes, 2025, P. 20-21.

[5] 15 mandats allèrent en faveur de la motion Blum – Faure-Longuet et 10 en faveur de la motion Cachin-Frossard.

[6] Marcobelli E. (dir)., Socialisme et Pacifisme de la IIe Internationale à la Guerre Froide, Nancy, Editions Arbre Bleu, 2024. Une recension de l’ouvrage sera bientôt publiée pour le carnet Hypothèses EuroSoc.

[7] Pech. R. op. cit. p. 26.

[8] P. 30.

Une brève histoire des socialismes en France

Julien Chuzeville, Brève histoire des socialismes en France, Montreuil, éditions Libertalia, 2025, 320 pages.

Ce livre est issu de la thèse de doctorat de Julien Chuzeville. Résumé de l’éditeur :

« Ce livre parle d’une époque où le mot “socialisme” était subversif. Les socialistes étaient alors en opposition ouverte contre la société capitaliste, qu’ils voulaient renverser pour mettre en place un monde complètement différent – qu’ils appelaient souvent “communisme”. Pour eux, socialisme et communisme tendaient essentiellement au même but. Ces mots aujourd’hui usés ont pourtant désigné l’espoir d’un monde meilleur, l’espoir de la fin des oppressions. »

En 1905, tous les socialistes en France s’unissent dans le Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Ce parti unifié se divise plus tard, avec la création du Parti communiste. Tous les courants socialistes et communistes postérieurs viennent de la SFIO, ou de ses scissions, ce qui lui donne un rôle fondamental dans l’histoire.
Il y a plus d’un siècle, des militantes et militants socialistes luttaient pour abolir l’exploitation ; contre l’impérialisme et contre le colonialisme ; pour l’égalité femmes-hommes. Ce livre explore leurs buts et les moyens employés, à commencer par leur conception de la démocratie et de l’action politique. Un ouvrage accessible et érudit, s’arrêtant sur les grands moments qui ont jalonné l’histoire de la gauche française.