Étudiant à la Sorbonne, Mattéo Fourcaut a rédigé un mémoire de deuxième année portant sur la revue  socialiste Révolte. Son mémoire intitulé “Révolte : une revue des nouvelles relèves socialistes ?  Être jeune, socialiste et marxiste durant l’entre-deux-guerres (1931-1934)” a fait l’objet d’une co-direction entre Olivier Dard (Sorbonne Université) et Jean-Numa Ducange (Université Rouen-Normandie). 

La présentation de ce mémoire est scindée en deux billets. 

Partie 1 : Renouveler l’étude de l’entre-deux-guerres socialiste.

L’entre-deux-guerres est une période paradoxale en de nombreux points : bien qu’elle suscite encore aujourd’hui de vives réactions et des positionnements inflexibles, historiens et politiques, elle demeure, à bien y regarder, grandement méconnue. C’est une histoire lacunaire qui est donnée à voir au profane comme à l’historien. Une histoire lacunaire car formée originellement à partir d’une vision politiquement marquée, qui émerge dès les années 1940, et qui alourdit cette période d’un péché, celui de la décadence politique et morale : l’entre-deux-guerres aurait été le moment de l’incompétence et de la corruption généralisées des gouvernants, et de l’impossibilité de la modernité au sein des partis traditionnels. La postérité extraordinaire de cette vision, parfois pertinente mais largement caricaturale sur de nombreux points, a façonné le rapport historien à cette période, et les travaux qui s’en sont saisis ont souvent repris à leur compte si ce n’est le fond du moins la forme de ce point de vue particulier. En histoire politique et en histoire des idées, cet apriori se traduit notamment par un traitement très déséquilibré de la période : on s’intéresse surtout aux hommes, aux mouvements et aux idées que l’on considère aujourd’hui comme des avant-gardes malheureuses qui tentèrent envers et contre tous de revitaliser la société française pour la sauver des multiples défaites qui l’attendaient. On s’intéresse à cet « esprit des années trente », expression désignant confusément les tentatives de modernité des années d’entre-deux-guerres, et à ceux qui l’incarnent, les « non-conformistes des années 1930 », ces jeunes marginaux de droite qui avaient « l’ambition de renouveler la façon d’aborder les problèmes des sociétés modernes, en se plaçant délibérément en marges des courants intellectuels ou politique établis »^[1] et qui « tous critiquent le « désordre établi » du capitalisme et de la république parlementaire, […] affichent une volonté révolutionnaire, et […] cherchent à penser les formes d’un « ordre nouveau » nécessaire »^[2]. Ils incarnent l’entre-deux-guerres dans la mémoire collective et dans l’historiographie, à tel point que, de manière générale, l’histoire des idées de l’entre-deux-guerres qui nous est proposée est une histoire de la droite de l’entre-deux-guerres.

Ce mémoire cherche à ouvrir de nouvelles perspectives sur l’étude de la gauche française de l’entre-deux-guerres, en appliquant et en adaptant à cette dernière les catégories d’analyse traditionnellement réservées à la droite : une source nouvelle, Révolte (1931-1934), revue de jeunes radicaux de la SFIO, nous permet de saisir l’histoire du socialisme français sous des angles neufs. L’étude de cette revue nous a permis de mieux comprendre la réception de la modernité – politique, philosophique, économique et social – que fait le socialisme français dans les années d’entre-deux-guerres, et de questionner l’existence d’un esprit des années trente spécifiquement socialiste. Nous avons abordé cette question en croisant en permanence deux échelles : une échelle restreinte, celle du groupe générationnel qui s’agrège autour de Révolte et qui est une manifestation spécifiquement socialiste d’un phénomène transpartisan, et une échelle plus large, qui nous permet de saisir ce groupe en tant que « nouvelle relève »^[3] qui tente de se faire une place et d’imposer sa modernité au sein d’un parti spécifique, très hiérarchisé et qui cherche à reconstruire et définir son identité après une crise majeure. Dans ce travail, nous tentons de comprendre – au travers des notions de génération, de jeunesse et de nouvelles relèves – la reconstruction et la restructuration de l’idéologie socialiste française bouleversée, en quête d’identité depuis la scission du congrès de Tours (décembre 1920).

Pour nous, la période 1931-1934 est le moment d’une revitalisation du socialisme français autour de la pensée et de la figure de Karl Marx, réappropriées et intégrées définitivement à la culture socialiste selon des modalités spécifiques liées au contexte très particulier de sa réception : l’entre-deux-guerres. En faisant varier les échelles d’analyse et en croisant étude diachronique et synchronique de la revue, nous montrons en effet que cette sédimentation autour du marxisme se fait en effet dans le cadre d’une discussion permanente avec les nouvelles relèves de la SFIO, qui apparaissent dans certains groupes des Jeunesses Socialistes (JS), et que loin d’avoir évolué indépendamment de l’esprit des années trente, le Parti Socialiste et sa jeunesse ont pris part à ce phénomène et en ont eu une lecture spécifique qui a laissé des traces. Révolte nous donne à voir le regard de ces nouvelles relèves et nous permet de comprendre avec une plus grande acuité cette période de recomposition idéologique et politique. 

 

Mattéo Fourcaut

 

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[1] Bergès, Michel, Vichy contre Mounier. Les non-conformistes face aux années quarante, préface de Jean-Louis del Bayle, Economica, 1997, p. 7.  

[2] Olivera, Philippe. « “L’esprit des années 30” à l’épreuve de la sociabilité ». Hypothèses 1, n^o 1, 1998, 165‑70.

[3] Nous nous appuyons ici sur le concept développé par Olivier Dard dans son livre : Dard, Olivier. Le rendez-vous manqué des relèves des années trente. Le nœud gordien. Paris: Presses universitaires de France, 2002.

Lien vers la deuxième partie intitulée “Révolte, revue des nouvelles relèves de la SFIO / Deuxième partie“.

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